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Perte et nostalgie

Theòdoros Grigoriàdis

 

Traduit par Hélène Zervas & Michel Volkovitch

2024 – 114 pages – 12 €
ISBN : 978-2-494343-12-2

 

Theòdoros Grigoriàdis, dans ces récits, parcourt les divers moments de sa vie. Si certains épisodes sont aussi étonnants que des histoires inventées, c’est qu’un bon observateur doublé d’un bon conteur sait parer le vrai d’une couleur vaguement fabuleuse.
Nous promenant d’abord sur ses terres à l’extrême orient de l’Europe, entre Bulgarie et Turquie, puis dans les quartiers populaires d’Athènes, l’auteur nous fait découvrir en priorité les divers délaissés de la société, ceux que d’habitude on ne voit pas : villageois, membres de la minorité pomaque, gitans, Grecs rapatriés, immigrés de partout et autres marginaux. Il s’inspire de ces naufragés de la vie pour nous offrir des textes où la notion de l’étranger, de la différence, joue un rôle primordial. Il a un faible pour les espaces clos mais en même temps ouverts sur l’extérieur : les trains, les cinémas, les cafés surtout, ces refuges, lieux précieux pour ceux que la vie malmène, mais aussi pour ceux qui s’intéressent à leurs semblables. Les profondeurs de la société nous en disent parfois plus que sa surface, et la Grèce méconnue qui émerge de ces récits sonne vrai.

Cet ouvrage est publié avec le soutien
de la fondation Ouranis
.

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Dans une ruelle de Nèos Kòsmos, de celles qui portent des noms français, vivait une drôle de femme, telle que je n’en ai jamais rencontré de pareille. Tout ce que je vais rapporter ici provient d’observations personnelles, mais aussi d’informations de seconde main que m’a données celui qui l’a bien connue.
Nous nous sommes rencontrés dans un café où j’allais car il me rappelait ma province, mais pour elle, c’était une seconde maison. En hiver, la vaste salle de l’Everest était fermée par d’immenses baies vitrées qu’on laissait ouvertes le reste de l’année. Tout autour, de grands pots de ficus de différentes espèces masquaient la laideur du dehors comme du dedans. Au croisement de la rue Ilìas Iliou avec l’avenue Lagoumitzi, le bruit incessant des embouteillages était insupportable. C’était seulement tard le soir que l’avenue redevenait calme.
Elle était assise jour et nuit à la même table, rarement occupée par quelqu’un d’autre ; au début, pendant assez longtemps, je l’observais car elle riait et parlait fort de manière que je trouvais gênante, mais je l’avais mal jugée. Après tout, elle était dans son milieu naturel — dans la fumée compacte du tabac bien sûr, car à l’époque on fumait partout — et elle ne recherchait l’approbation de personne. Il y avait tout autour d’immenses écrans de télé, c’était la folie lors des matchs sur la chaîne à abonnement. Cette Tzoùlia, comme j’avais très vite entendu qu’on l’appelait, était souvent accompagnée d’une femme massive, la soixantaine comme elle, et d’une blonde maigre, la cinquantaine, originaire d’Europe de l’Est.

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