Le dernier des ours
Àkis Papantònis
Traduit par Hélène Zervas & Michel Volkovitch
2025 – 138 pages – 12 €
ISBN : 978-2-494343-20-7
Nous sommes en 1993 dans la future ex-Yougoslavie, où la Bosnie-Herzégovine vient de faire sécession. Cet état tout neuf, le plus multi-ethnique de l’ancienne fédération, est aussitôt déchiré par la guerre civile. La majorité serbe se livre à un nettoyage ethnique dont le point culminant sera le massacre de Srebrenica : huit mille membres de la communauté musulmane exterminés par les milices pro-serbes.
Nous sommes aussi en Grèce, pendant trente ans, entre la fin du siècle dernier et le début de celui-ci, avec une famille dont on voit grandir les deux fils. L’aîné devient un militant d’extrême droite, fanatisé au point d’aller combattre en Bosnie, après quoi il mène en Grèce une existence plus ou moins clandestine, jusqu’au jour où…
Tout cela raconté dans le désordre, de façon éclatée — non par coquetterie d’écrivain moderniste, mais parce que le sujet l’impose. On est là face à un passé si douloureux qu’on doit l’approcher avec prudence, une plaie à désinfecter qu’on ne peut toucher qu’à petits coups. Les pays et les personnages eux-mêmes sont égarés, déchirés, chacun à sa façon. On exhume des morceaux de passé comme on repêche les débris d’une épave.


Sur un banc à l’autre bout, Nìkos m’écoute. Il porte le blouson d’aviateur noir qui sur moi paraissait toujours dépareillé, une chaîne pend à la ceinture de son jean. Mes camarades m’applaudissent, la guitare se tait. Les tambours donnent le rythme pour l’hymne national. « Je te connais par l’épée… » et Nìkos se met debout sur le banc. Il lève le bras droit et accompagne la chorale en chantant fort. Je fixe de nouveau mon regard sur les feuilles A4, le prof de maths grimpe sur le banc pour le faire descendre. Nìkos résiste, impassible, le bras tendu, la chorale continue en perdant le rythme.
— Allez, ça suffit maintenant, dit le prof de maths en l’éjectant du banc.
Avec le prof d’éducation religieuse, ils l’emmènent à la salle des profs. La directrice prend le micro et nous renvoie tous dans nos classes.
— Vous ne partirez pas avant d’entendre la sonnerie, dit-elle.
Je quitte la cour le premier. En montant l’escalier qui mène à ma classe, j’ai l’impression que tout le monde parle de moi.